Je détestais toujours autant Malo, et je ne lui avais toujours pas adressé la parole depuis la scène de la réserve. De un parce qu'il ne le méritait pas, ce n'était qu'un indigène de plus et puis je ne fréquentais pas n'importe. Et puis de deux parce que même si je pouvais ressentir le moindre truc à son égard - rien que d'y penser, ce serait déjà de la pure folie - je n'avais aucune raison de lui reparler tant qu'il ne se serait pas excusé pour tout ce qu'il avait pu dire ce matin là. De la méchanceté gratuite, c'était tout ce que c'était. Et puis des mensonges aussi, j'en étais sûre et certaine. Il essayait de nier qu'il avait apprécié la nuit que l'on avait ensemble, mais je l'avais vu dans ses yeux, il avait pris autant de plaisir que moi. Et en disant ça il ne cherchait qu'à me faire du mal, point barre. Alors j'avais peut-être un caractère et des manières de merde, mais moins au moins j'étais méchante quand c'était justifié. Pas juste quand comme ça, quand j'en avais une envie soudaine comme Monsieur. Alors ça faisait deux semaines que je l'évitais au boulot, que je faisais exprès de parler à tout le monde sauf à lui. Que je faisais exprès de parler à tous les garçons autour de moi, juste pour voir sa réaction. Mais soit ça ne lui faisait ni chaud ni froid, soit il cachait très bien son jeu parce que je ne devinais rien. de toute façon, je m'en fichais complètement, je voulais juste lui montrer que je n'en avais absolument rien à foutre de sa grande gueule, quoi qu'il puisse penser. Oui, c'est promis, j'en avais rien à foutre.

Tout le monde n'était pas du même avis malheureusement. Le directeur de la galerie, dans sa grande bonté - hum ... -, nous avait désigné tous les deux pour organiser l'exposition spéciale lancée par la galerie pour l'Aloha Festival. Ce qui signifiait que nous allions obligatoirement devoir travailler ensemble et nous adresser la parole pendant les prochaines semaines à venir. Autant dire un supplice complet. Pour lui comme pour moi apparemment, vu son soupire long de signification lors de cette annonce. Tout le monde nous félicitait, c'était apparemment un honneur d'organiser cette exposition, mais pour moi c'était juste un cauchemar. Passer du temps avec Malo, beurk, beurk et re-beurk même. Comme si j'avais que ça à faire de toute façon ... Mais bon, ça ne se faisait pas de refuser un truc pareil apparemment qu'on m'avait dit. Et puis inutile de demander à changer de binôme : Monsieur-J'aime-Mon-Île-Plus-Que-Tout était surement plus que fier d'avoir été choisi, et comme sa fierté était aussi monumentale que son ego, c'était même pas la peine d'y penser. Nous allions donc devoir faire avec apparemment. Fuck, fuck et re-fuck.

Autant y mettre de la bonne volonté donc. Au pire, une augmentation juteuse se cachait peut-être derrière ce traquenard monstrueux. Je profitais donc d'un petit moment seule dans notre salle de repos pour laisser un mot rapidement griffonné dans le casier de Malo. Inutile qu'il voit que j'avais passé de longues minutes à écrire et réécrire ce stupide message, je jetais la dizaine de brouillons infructueux dans mon sac. « RDV demain matin à 8h à la Koa Pancakes House, j'ai des idées pour l'expo. Bises, Manon. ». Pas trop guimauve, on est toujours en guerre après tout, mais pas trop méchant non plus, il fallait bien qu'il y vienne à ce putain de rendez-vous. Et puis pas trop long non plus, c'est censé avoir été écrit en quinze secondes top chrono un truc comme ça.

J'attendais beaucoup de ce rendez-vous. Au delà de cette stupide exposition, je voulais voir comment Malo allait se comporter avec moi. Est-ce qu'il allait me présenter des excuses ou se comporter comme d'habitude, comme le gros con qu'il était avec moi ? Je n'en avais aucun idée et je n'aimais pas ne pas savoir. Je décidais donc de m'habiller "jolie mais pas trop" et de me maquiller "un peu mais pas trop" pour me rendre dans le petit restaurant. S'il pensait que j'allais passer des heures à me préparer pour lui, il se foutait le doigt dans l'oeil. Mais comme à mon habitude j'arrivais en retard, je n'allais pas faire exception pour Malo. Le jeune homme était d'ailleurs installé à une table dans un coin quand je poussais la porte du restaurant. Comme à chaque fois, je fus assez surprise de constater qu'il était vraiment canon, mais ça c'était pour mes pensées personnelles. Je filais m'asseoir à la place en face de lui, sans un sourire aux lèvres. Il ne le méritait pas, pour le moment en tout cas.

- Salut.

Pas de familiarités pour le moment, pas de "Comment tu vas ?", il fallait pas poussé mémé dans les orties. Un serveur s'approcha de nous, un Pancake avec sauce au chocolat pour moi s'il vous plait. Et puis un verre de jus d'ananas aussi. Le serveur finit par se sauver vite fait bien fait pour nous laisser seul en tête-à-tête. Tête-à-tête ... Ce mot rimait avec romantisme pour moi, ce n'était donc pas le plus approprié pour cet instant précis. Combat de coq ? Oui, c'était déjà mieux.

- Donc, y a vraiment beaucoup de monde à cette expo' ?

Après tout, c'était "SON" île, il devait mieux s'y connaître que moi, une "touriste" selon lui.

HJ : Désolé pour le retard et pour ce RP complètement nul à chier, promis, je me rattrape la prochaine fois :/

Je savais bien que mon retard avait passablement énervé Malo. De toute façon, je faisais ce que je voulais. Je n'étais pas là pour le satisfaire ou pour lui plaire alors je faisais ce que je voulais. En même temps, même si j'avais cherché à lui plaire et à lui faire plaisir, j'étais sûre qu'il aurait toujours trouvé quelque chose pour me rembarrer ou me faire la tête. Peu importe au final. Je ne l'aimais pas, il ne m'aimait pas, et malgré tous les efforts que je pourrais faire (si j'en avais envie), je savais que ça ne servirait à rien. Ce type était entêté au possible, une vraie tête de mule. Une fois qu'il avait une idée dans la tête, impossible de lui en faire sortir. Alors bon, qu'il aille se faire voir hein.
On nous apporta notre commande. Un pancake Sauce au chocolat, on avait jamais rien inventé de mieux. J'avais eu un sacré débat là dessus avec Wayne. D'après lui, les pancakes n'était qu'une vulgarisation de la gastronomie américaine. Comme s'il existait une gastronomie américaine ... Bref, ce n'était pas le débat du moment et je demandais à Malo s'il y avait vraiment beaucoup de monde à ce festival. C'était vrai après tout, on était là pour parler de ça, et si ça pouvait être expédié le plus vite possible, ça m'arrangerait merci. Plus vite on aurait commencé, plus vite on pourrait terminer, et plus vite on pourrait repartir chacun de notre côté comme on en mourrait d'envie tous les deux a priori.

- Je déteste ce festival.

A vrai dire, la première chose que j'eus envie de lui répondre, c'était que j'en avais un peu rien à foutre qu'il aime ou non le festival. On avait pas vraiment eu le choix de s'en occuper alors maintenant qu'on était là, autant y mettre un peu de volonté. Pour ma part, je comptais vraiment sur cette augmentation alors s'il n'avait pas envie de participer, tant pis, je ferais ça toute seule. Mais bon, de nous deux, c'était lui le natif de l'île, c'était lui qui était censé me guider sur le projet. De toute façon, c'était bien connu, c'était lui qui savait tout mieux que tout le monde. Et comme moi je n'étais qu'une petite touriste de merde, je me retrouvais à ramper à ses pieds pour avoir de l'aide. Mais bon, s'il avait vraiment l'intention de continuer à faire chier le monde, j'allais me débrouiller hein, j'étais assez grande pour ça. Vraiment, qu'il aille se faire foutre, mais alors profond hein.
En même temps, une autre partie de moi avait vraiment envie de faire un effort pour travailler avec lui et essayer de renouer une relation à peu près saine. Un peu contradictoire hein ? Même moi j'y comprenais plus rien. Une partie de moi criait qu'il me manquait et qu'elle avait encore envie de goûter ses lèvres et son corps dans son intégralité. Je devais vraiment avoir mangé un truc pas frais la veille pour ressentir un truc pareil. En même temps, fallait avouer que son petit tee-shirt gris et sa veste ... Ça lui allait à ravir et le rendait terriblement sexy. Fallait juste que j'arrête d'y penser et que je me concentre sur la haine que lui vouait toute l'autre partie de moi-même.

- Pourquoi la Pancakes House ?

Non mais j'hallucinais là. Comme si c'était vraiment le sujet du moment. On était en train de parler boulot et lui me parlait pancakes ? Ce mec arriverait toujours à m'impressionner par sa connerie et son talent de poser des questions totalement inutiles. Tout à l'heure, il allait me demander pourquoi j'avais choisi un foulard bleu marine et pas bleu nuit si on continuait comme ça. En même temps, j'étais pas réellement sûre qu'il fasse cette distinction pourtant essentielle. Confondre bleu barbeau et bleu bleuet pouvait encore passe, mais marine et nuit, c'était totalement différent ... Bref. Je le regardais totalement éberluée, et pris une gorgée de mon jus d'orange avant de lui répondre en le regardant droit dans les yeux.

- Parce qu'ils font les meilleurs pancakes de l'île peut-être ?

Ça paraissait logique à la limite. Et de toute façon, comme Monsieur n'avait pas pris l'initiative d'organiser un rendez-vous de travail, j'avais du le faire et j'avais choisi l'endroit que je préférais pour ça. La prochaine fois, il bougerait peut-être davantage son cul et il pourrait choisir l'endroit de rendez-vous. Je pris une bouchée de mon pancake sans quitter Malo du regard.

- Est-ce qu'on pourrait parler de l'exposition maintenant ? Non parce que j'ai un rencard à onze heures, un garçon terriblement beau et intelligent, j'ai pas envie d'être en retard.

Et bim dans les dents, j'ai un autre rencard après toi. Et bim, dans les dents, avec lui je serais pas en retard puisqu'il est gentil avec moi. Et encore bim, parce que j'en ai envie et que t'es un connard. J'allumais une cigarette. C'était jamais avant le petit déjeuner d'habitude mais là il m'avait énervé ce con. Il fallait qu'il arrête de se croire tout permis parce qu'il y avait écrit hawaïen sur sa carte d'identité. France c'est bien hein aussi, et nous au moins on a une vraie gastronomie et pas des gros cons en guise de collègue.

Je savais qu'avec mon histoire de rencard et de mec beau et intelligent, j'avais tapé juste. Y avait qu'à voir les yeux de Malo ! Déjà qu'il était passablement énervé par mon comportement - comme d'habitude en fait -, il fulminait désormais. Je pouvais presque voir de la fumée s'échappait de ses oreilles. Non j'rigole. Mais par contre, c'était certain que mon allusion au rencard avait fait mouche.
On avait beau se détester, s'en foutre plein la gueule et se pourrir la vie dès qu'une occasion se présentait, nous ne pouvions le nier : il se passait bien quelque chose entre Malo et moi. Quoi exactement, je n'arrivais pas à le savoir, mais il y avait un petit je-ne-sais-quoi qui nous attirait irrémédiablement l'un vers l'autre. Et nous repoussait aussi par la même occasion. Le pourquoi du comment m'échappait, mais tout ce que je savais, c'était que l'idée de m'imaginer avec un autre garçon ne lui plaisait pas plus que l'idée que je me faisais de lui avec une autre fille. De toute façon, toutes les indigènes qui lui tournaient autour ne le méritaient pas. O.K., elles étaient bien mignonnes avec leurs petits colliers de fleurs autour du coup, mais en général, elles étaient pas bien futées et même pas très cultivées. Malo, lui méritait une femme, une vraie ... Un peu comme moi, même s'il ne l'admettrait jamais. Comme je n'admettrais jamais non plus qu'il était sans doute l'homme le plus intéressant que j'ai rencontré sur cette île jusqu'ici, depuis mon arrivée. En même temps, le niveau était pas non plus très élevé, c'était autre chose à Paris. Mais bon sang, ce garçon avait quelque chose d'inexplicable. Il n'était même pas forcément beau. Mais il avait un charme ... Tellement de charme. Mais le charme, c’est mieux que la beauté. On peut résister à la beauté, mais pas au charme. Et dire que j'étais censée le détester, bordel. Le détester du plus profond de mon être pour tous les trucs horribles qu'il avait pu me dire depuis que j'étais arrivée ici. J'aimais avoir le dernier mot, j'aimais être en position de domination, et avec lui c'était tout le contraire. Pourtant, bizarrement, j'en redemandais, je revenais à la charge pour essayer de le prendre à défaut lui aussi. Et cette fois, je pensais avoir touché son orgueil en évoquant mon rendez-vous suivant. Et s'il n'était pas forcément jaloux, cela avait au moins eu le mérite de l'énerve. A tel point qu'il prit la cigarette que je venais d'allumer pour l'écraser dans le cendrier.
Une partie de moi était furieuse. Une partie de mon salaire - même infime - venait de partir en fumée sous mes yeux. J'étais sûre que je pouvais l'attaquer en justice pour ça ! Malo était un gros con doublé d'un abruti. Il avait pas le droit de faire ça et surtout pas de leçon à me donner, surtout qu'il était lui aussi un fumeur occasionnel.
Et puis une autre partie de moi était plutôt satisfaite finalement. S'il avait réagi de cette façon, c'était qu'il était énervé et piqué dans son orgueil : exactement ce que j'avais recherché en le provoquant. J'avais donc parfaitement réussi ce que je voulais faire et j'étais plutôt fière de moi. Je t'avais eu Malo Winkler, même si ma cigarette avait du y passer.

- Il y a des enfants ici, si tu veux fumer c’est ton choix, ne l’impose pas aux autres. M’enfin ce type de concept doit échapper aux personnes de ton genre.

Je ris mais ne répondis rien à sa petite leçon de morale. Il ne pouvait jamais s'empêcher de donner tout le temps des leçons à tout le monde. Oui, mOnsieur avait besoin d'étaler sa science et sa bonne éducation aux yeux et à la vue de tout le reste de la population terrienne. Et surtout à moi en fait. Pour lui, j'étais rien qu'une petit bourgeoise mal élevée et prétentieuse, alors que j'en savais certainement plus que lui sur ce qu'étais "une bonne éducation". Moi au moins je savais utiliser tous les couverts dans un restaurant de luxe, ce qui n'était surement pas son cas. Et puis je savais aussi sortir d'une voiture en portant une robe sans que l'on voit ma culotte. Et puis je savais faire une révérence aussi. Tout un tas de chose que Malo ignorait surement lui. Mais bizarrement, il se permettait quand même de me faire des réflexions. Il m'avait vraiment bien regardé ? Laissez-moi rire. En attendant, ma petite victoire m'avait tellement fait plaisir que ses petites leçons de morale ne pouvaient pas atteindre ma joie intérieure.

- Bon maintenant tu arrête de fantasmer sur ton rencard et on réfléchit. L’année dernière l’exposition retraçait l’histoire de l’île à travers des peintures et des sculptures donc je te propose qu’on change au moins de support. Pendant une semaine on va subir une bande de jeune con à Honolulu alors autant faire un truc qui peut leur plaire. Un truc simple que même leurs neurones imbibés d’alcool pourrait comprendre. En fait j’ai une idée, continua-t-il après une courte pause.

C'était tout Malo ça. Beaucoup de blabla pour pas grand chose au final. j'avais toujours pas plus d'infos sur son projet qu'au début de sa tirade mais bon, cela n'avait pas l'air de le déranger. Autant faire les choses vite et bien, on avait pas non plus la journée devant nous. Ce qu'il pouvait être énervant avec ses manières parfois ... Il finit par sortir un dossier de son sac et l'ouvrit devant moi. Enfin les choses sérieuses, je commençais à m'impatienter. A l'intérieur du dossier, des croquis, des dessins, des notes prises à la va-vite, des coupures de journaux, des photos. D'après ce que je pouvais comprendre, il comptait réaliser de interviews de personnes vivant sur l'île depuis toujours et les projeter sur un grand drap blanc, tendu dans une pièce à l'ambiance tamisée. Le tout avec de petite brume entourant les spectateurs, pour rappeler l'humidité ambiante qu'il y avait parfois ici. Même si ça me faisait mal de l'avouer, mais cette idée était plutôt bonne. Cela correspondait à l'image que dégageait notre galerie et même si Malo y plaçait encore ses hawaïens pure souche - les plus beaux, les plus forts -, le résultat esthétique pouvait être vraiment très réussi. Merde, j'allais être obligée de lui dire, je savais d'avance que rien ne pourrait lui faire plus plaisir. Et je n'avais vraiment pas envie de lui faire plaisir en fait.

- Ce n'était pas du tout ce à quoi j'avais pensé mais ... Je marquais une courte pause. Il fallait quand même que j'arrive à le sortir. Mais je trouve que c'est une très bonne idée.

Je vis bien à son regard qu'il était surpris. Il devait sûrement s'attendre à ce que je pique une crise et tape du poing sur la table, que je lui dise que son idée était nulle à chier et que la mienne était cent fois mieux. Mais non. J'avais toujours été du genre honnête, alors je ne pouvais pas lui mentir. Et puis je mentais très mal de toute façon. Ça y est, il pouvait jubiler maintenant, c'était à lui de crier victoire. Un point partout, la balle au centre, on était pas beaucoup plus avancé. Je lui souris. Oui je savais lui sourire aussi, j'étais capable de faire autre chose que de lui grogner dessus et le détester hein.

- Quoi ? Arrête de me regarder comme ça. J'allais pas te dire que c'était mauvais juste pour te pousser à bout. Je suis pas un monstre hein, continuais-je, toujours en souriant.

Fallait qu'il arrête de me regarder de cette façon. Comme ça, il ressemblait à un poisson hors de l'eau et c'était pas sexy du tout. Et Dieu sait qu'il lui en fallait beaucoup pour ne pas être sexy.

Je savais très bien que Malo allait être on ne peut plus surpris que j'approuve son idée pour l'exposition. Il était vrai qu'en général, je faisais tout pour le pousser à bout, même si pour cela je devais mentir ou être de mauvaise foi. En même temps, il était plutôt drôle dans son genre quand il était énervé. Alors moi j'aimais en rajouter. J'aimais le contredire. J'aimais lui mentir. J'aimais le détester. J'aimais lui montrer que moi aussi, je pouvais faire les choses bien quand j'en avais vraiment envie. Sauf qu'avec lui, allez savoir pourquoi, même quand j'avais envie de m'appliquer un peu pour lui montrer que je pouvais être une fille intelligente et cultivée, j'arrivais toujours à tout faire capoter. Je devenais méchante, sarcastique et de très mauvaise humeur. J'avais envie de tout sauf de me trouver en sa compagnie alors que la minute précédente j'avais surtout envie de l'impressionner. C'était comme une lutte à l'intérieur de mon esprit, une lutte perpétuelle, qui m'empêchait de faire les choses correctement lorsque Malo se trouvait à proximité. Et je ne pouvais rien y faire, j'avais beau essayé de me contrôler ou faire quelque chose, c'était foutu. Pour une fois, ce matin-là, je ne m'en sortais pas trop mal. Au moins, j'avais réussi à lui sourire et à lui dire deux phrases gentilles sans l'insulter dans les secondes qui suivaient. C'était plutôt une bonne performance par rapport à d'habitude. Mais je savais bien que ça n'allait pas durer, même si j'en avais très envie. Il allait forcément finir par me sortir une grosse connerie ou une grosse méchanceté, ou alors il allait me prendre pour une conne, et là c'était pire que tout en général. S'il y avait bien un truc que je détestais par dessus tout, c'était qu'on me prenne pour une conne. Surtout quand ça venait de Malo, il était à mon avis le moins bien placé pour me juger avec ses manières à deux balles et ses copines se balandant partout avec un look des années vingt. Alors il pouvait bien penser ce qu'il voulait de moi, je m'en contrefichais totalement
Enfin pas tant que ça. Au fond de moi, j'avais envie qu'il m'aime. Non, le verbe aimer était quand même un peu fort, j'avais pas envie qu'il m'aime. J'avais envie qu'il m'apprécie, et ce serait déjà largement suffisant. Qu'il ne passe pas son temps à me taper sur les nerfs aussi, parce qu'il savait très bien comment s'y prendre et que cela ne ratait jamais. Finalement, on se ressemblait beaucoup sur ce point là. On était tous les deux fiers, très fiers, trop fiers peut-être et l'on préferait faire notre loi parce qu'on aimait pas se retrouver pris par défaut. C'était pour ça que c'était toujours la guerre entre nous. On voulait tous les deux avoir toujours le dernier mot, mais comme y en a qu'un seul à la fois qui peut avoir ce privilège, bah ça finit mal, et on se prend la tête, et on se dispute, et on s'en met plein la gueule, et on finit par bouder chacun dans notre coin, comme deux gamins. Oui c'était ça, on était deux gamins tous les deux. Deux bambins se disputant le commandement d'une bande, la place de chef. Sauf qu'on avait pas de bande avec nous, il y avait jamais personne d'autres que nous quand on se voyait. Alors c'était un combat sans fin, mais on s'en foutait, on continuait à se battre quand même jusqu'à ce que l'un d'entre nous trouve une excuse bidon pour mettre fin au combat. En général, j'étais la première à céder, j'étais plus impulsive que Malo, et puis j'en faisais qu'à ma tête aussi. Avoir mon vernis écaillé me semblait souvent être une excuse valable pour battre en retraite d'ailleurs. Une femme, et de surcroit une De Contades, se battait toujours avec une manucure parfaite, c'était bien connu.
Malo finit par me demander quelle était mon idée à moi. Ha, parce que ça l'intéressait. Pour une fois que Monsieur portait de l'attention à autre chose qu'à sa petite personne et sa petite île si parfaite. Finalement, on pouvait être un minimum civilisé l'un avec l'autre, on était pas si débiles. Je pris une gorgée de mon jus d'orange avant de me lancer. J'étais persuadée qu'il allait trouver ça ridicule tiens.

- J'avais pensé que l'on pourrait installé dans la grande salle du fond un grand drap blanc tendu au plafond. J'ai fait un repérage hier, il y a déjà des crochets, ça pourrait être facile à réaliser. Au sol, j'aurais voulu installer des gros coussins moelleux et des tapis pour que les gens puissent s'allonger pour regarder des films projetés au plafond. Le tout dans la pénombre, mais pas trop non plus. Et avec une musique locale mais assez rythmée, pour ne pas qu'ils s'endorment.

Je sortis de mon sac quelques croquis que j'avais faits à la maison et quelques notes que j'avais prises. Je voulais lui montrer que j'avais travailler mon sujet, que je n'étais pas venue les mains dans les poches juste pour le faire se lever plus tôt que d'ordinaire. J'avais eu cette idée il y a quelques jours déjà et je l'avais faite mûrir afin de lui présenter quelque chose de construit et concret, qu'il ne pourrait pas balayer d'un simple revers du bras. Peut-être qu'il n'allait pas aimer, mais il ne pourrait pas nier que j'avais fait des efforts pour une fois.
Alors que j'étais en train de lui montrer mes croquis et mes idées, Malo se retourna furtivement vers l'entrée du petit restaurant. Deux jeunes femmes, d'à peu près notre âge, venaient d'entrer ici et riaient bien plus fort qu'elles n'auraient du. Après tout, le monde entier n'avait pas besoin de connaître leurs petites histoires. Les gens d'ici n'avaient vraiment aucun savoir vivre, c'était définitif. Heureusement pour mes tympans, elles prirent de la nourriture à emporter et dégagèrent rapidement le plancher. Mais j'avais bien remarquer que Malo s'était raidi sur son siège pendant le temps où elles étaient là, comme s'il avait essayé de se cacher pour ne pas être vu. Enfin, être vu avec moi, toute la nuance était là et je le savais bien. J'avais presque pitié pour lui d'ailleurs. Le pauvre garçon n'assumait même pas d'être ici à prendre un petit déjeuner avec moi, même si c'était pour le boulot, rien de plus.

- T'as honte de moi c'est ça ?

J'avais envie qu'il réponde à ma question pour une fois et qu'il ne cherche pas à changer de sujet. Même si je commençais à bien le connaître désormais et si je savais que c'était peine perdue. Je finis mon jus d'orange d'une seule traite avant de croiser les bras sur ma poitrine.

- T'es vraiment un pauvre type Malo.