La première fois que je l’ai vue, je devais avoir sept ans, et elle n’était jamais seule. C’était bien chiant d’ailleurs, puisque les Naukana chez qui elle habitait avait tendance à me traiter de bon à rien juste parce que je n’avais pas les bonnes relations. Tsss de la merde, on ne choisit pas sa famille, ni son frère. Et puis un jour, un peu comme si le ciel me faisait un clin d’œil, je la vis, debout face à l’océan, sa chevelure voguant au gré du vent, comme dans les vieux films débiles que ma grand-mère regarde. M’approchant sans un bruit, un vague sourire aux lèvres, j’ai juste glissé un :
« Tu fais assez tache dans le paysage. » un sourire moqueur au coin des lèvres.

Je la vis alors se retourner telle une furie, vous savez ces nanas horribles dans les films, sauf que là elle semblait juste en colère, ses poings se serrant comme si elle voulait m’en coller une. C’est qu’elle semblait avoir du caractère, de quoi me plaire encore plus, là, aucun doute !

« Ben la tâche elle va rester, alors faudra t’y faire pauvre macaque !
- Wow, calme-toi… c’était… pour parler. Tu m’as tapé dans l’œil en fait. » répliquai-je en la regardant, levant les mains pour lui montrer que je n’allais rien lui faire. Ouais… du haut de mes 14 ans, et elle de ses 12 ans, âge que j’apprendrai plus tard, elle me plaisait, et j’en aurais bien fait ma copine pour le temps qu’elle resterait. J’aurais eu la konos. OK, un peu comme un trophée, mais rien que ces quelques secondes faisaient qu’elle me plaisait, vraiment.
« Quoi ? » s’exclama-t-elle comme si j’avais dit quelque chose d’impossible. On lui avait jamais dit qu’elle était mignonne ?
« J’ai dit que tu me plaisais poil de carotte.
- Je suis pas une carotte.
- Ben t’en as la couleur.
- Je suis rousse pas carotte et j’ai un prénom, macaque.
- J’m’appelle Kale, et toi ? » demandais-je sans m’occuper du surnom qu’elle semblait vouloir me donner pour se venger de la carotte.

C’était pas de ma faute si elle était plus rousse que jamais, et qu’on ne voyait qu’elle sur cette plage, un peu comme un feu qui aurait été allumé, plus attirant que jamais. Et à cet instant précis, la voix de Malana retentit, ça m’étonnait presque qu’elle ne soit pas déjà en train de lui dire : ne traîne pas avec Kale Haumea, c’est un mauvais garçon. Mais non, elle se contentait de l’appeler : « ‘Nita ? ‘Nita ? » comme si j’allais la dévorer vivante. J’ignorais alors que la fille en face de moi venait de se sauver comme une malpropre de chez eux, en passant presque par la fenêtre pour ne pas qu’on la voit sortir. Pour une raison…

« Je suis là Malana, j’arrive ! » répondit-elle en criant pour lui répondre, agitant les bras pour l’aider à la repérer, même si la couleur de ses cheveux était difficile à confondre.
« J’m’appelle Jessie. On se reverra sans doute, j’habite chez les Naukana.
- Tu comptes rester longtemps ?
- Assez. » répondit-elle sans plus de précision, se mettant à courir pour rejoindre Malana, m’abandonnant sur la plage. Mais elle avait dit qu’on se reverrait. Et étrangement, je savais que c’était vrai, parce que je ferai ce qu’il faudra pour. Je suis du genre obstiné on va dire, et quand je veux quelque chose, je l’obtiens, un point c’est tout.

Quant à la raison… j’ai appris plus tard qu’elle avait perdu ses parents dans un accident de voiture et qu’elle venait vivre avec sa marraine, qui n’était autre que Malana, c’était bien ma veine. Mais à force de persévérer, je pense que sa tutrice a fini par m’apprécier. Et ouais, comme quoi les miracles existent… brusquement je n’étais plus le mauvais garçon de service, mais le premier ami de celle qui était devenue sa fille. Car Jess et moi, on est même devenu plus que ça, puisqu’elle a fini par être ma meilleure amie… Une meilleure amie sur laquelle je bavais… ce que j’avais sous le pantalon contrôlant pas mal de mes gestes. Et putain, on ne demande pas à un adolescent de se la jouer soft quand une fille se colle à vous. Forcément, j’avais envie d’elle, et elle ne s’en est jamais rendu compte. Jamais… jusqu’au jour où je l’ai embrassée.

Ouais c’était con, débile, à chier, pourtant j’en avais envie, et elle ne m’a pas repoussé, elle a laissé sa langue divaguer avec la mienne. J’avais tellement attendu… mes doigts ont glissé sur sa taille, quand elle laissait ses mains sur mon torse… la mienne a glissé sur ses fesses, tandis que je cherchais à l’incliner sur mon lit. Nous étions seuls… personne ne le saurait à part nous, cela serait intime, comme toute fille pourrait le rêver, je ferais attention à elle, je… Mais non, je n’étais pas assez bien pour elle, madame a commencé à chercher à me repousser, me disant non… non… non quoi putain ? Elle m’allume, m’embrasse et après elle veut pas ? Elle s’est brusquement emparé d’un livre qu’elle me balança dessus pour que je lui laisse l’opportunité de s’esquiver. Et merde ! J’aurais pu la forcer, ignorer ce livre, je n’étais pas en sucre non plus, mais je l’aurais perdue, je suis pas con non plus, elle m’aurait juste rayé de sa vie, et elle comptait quoiqu’on en dise. Alors quand elle s’est tenue dans la pièce telle une reine outragée, me sortant un :

« Non mais ça va pas ? Tu croyais que j’allais te laisser me sauter ? Tu me prends pour une salope ou quoi ? » J’ai juste répliqué : « Vas-y fout le camp ! … Dégage j’ai dit ! » me suis-je emporté, faisant mine de me lever sur les nerfs, la faisant quitter la pièce comme si le diable était à ses trousses. Seul comme un con, j’ai fait ma petite affaire tout seul… J’en avais besoin et je n’avais aucune salope sous la main…

Seul chez moi, je suis juste resté allongé sur mon lit lorsque mon frère a finalement pointé le bout de son nez, ramassant le livre qui se trouvait sur le sol, à l’entrée de la pièce, là où elle l’avait laissé tomber et n’avait pas pris la peine de le ramasser. Pas plus que moi d’ailleurs… pour quoi faire ? C’était qu’un bouquin, il n’allait pas en mourir non plus. J’étais un hawaïen… avec une graine konos quelque part, à un moment donné dans la généalogie, mais je n’avais jamais mis les pieds hors de nos îles depuis que j’étais venu au monde. Le rapport ? aucun.

« T’as renié tes études frangin ?
- Non… Jess était là.
- Et ?
- Et j’ai voulu la sauter ok.
- Et elle a pas voulu ? T’es con Kale… t’as vraiment cru que madame voudrait de toi ?
- Oh ta gueule !
- Et maintenant ?
- Maintenant ? Je la baiserai un jour ou l’autre… mais je vais commencer par m’excuser. »

Cela me pris plusieurs semaines, plusieurs appels, plusieurs visites et de la persévérance, mais je parvins à me faire pardonner. Après tout, je restais encore et toujours son meilleur ami, et c’était bien tout ce qui comptait, parce que je ne cesserai sans doute jamais de tenir à elle. Cette petite boule d’énergie rousse que j’adorais tout simplement, mais que je désirais comme un défi inatteignable qui restait mon objectif. D’ailleurs, s’il a fallu quelques semaines de plus, une soirée bien arrosée, je lui ai dérobé sa virginité en la convainquant de son désir pour moi malgré ses maigres réticences… J’ai cherché à l’entendre me supplier de lui faire l’amour, et c’est exactement ce qu’elle a fait cette nuit-là, dans une chambre quelconque où se déroulait la fête. Et si le lendemain matin tout était flou pour elle, ça ne l’était aucunement pour moi, et j’ai pris un malin plaisir à lui raconter la partie où c’était elle qui réclamait.

Du coup, on a recouché ensemble à plusieurs reprises, et on le fait toujours… mais je suis loin d’être exclusif, tout comme elle… après tout, nous ne sommes que meilleurs amis non ? Des meilleurs amis qui baisent et aiment ça. Elle ne semble pas vouloir plus… moi non plus d’ailleurs… je tiens à elle, mais après… je n’en sais rien du tout.

Quant à ma vie ? Mes études ? J’ai fait musique et mécanique. Deux matières diamétralement opposées ? Ouais et alors ? Je bosse dans un groupe pour animer des soirées certains soirs, je donne même des cours de musique, et le reste du temps je tiens mon propre garage. On peut dire que le mauvais garçon a bien grandit non ? Enfin… j’ai des liens avec les Lakeiki, je les laisse parfois passer certaines de leurs marchandises par chez moi contre un peu d’argent. Ca me va tant qu’ils ne m’attirent pas d’emmerdes, c’est pas comme si j’avais envie d’en avoir. De toute manière, j’ai d’autres choses à faire… des filles à draguer et à mener dans mon lit, veiller sur ma grand-mère que le reste de ma famille semble oublier. Mais c’est un peu elle qui m’a élevé avec mon grand-père, alors je ne compte pas lui tourner le dos. Je suis peut-être un connard fini avec les filles, mais la famille reste la famille.