C'était impressionnant de constater à quel point certaines soirées pouvaient être ... Chiantes. Non mais vraiment. On avait beau se faire aussi belle que possible et aller dans un lieu à la mode, il suffisait d'être mal accompagnée et votre soirée de rêve se transformait en véritable cauchemar. Pauvre de moi, j'avais ce soir-là accepté l'invitation de pire dragueur d'Honolulu, et je pesais mes mots. Rencontré lors du vernissage d'une exposition, il était d'abord passé pour un garçon cultivé et plutôt intéressant. Mais sa connerie apparaissait au grand jour dans ce bar à la lumière des néons. Cela faisait environ deux heures que j'enchaînais les verres de mojitos pour me saouler et passer le temps. Et cela faisait environ deux heures qu'Akamu - puisque c'était son nom - me raconter toutes ces dernières conquêtes, sans doute pour m'impressionner. J'avais beau bailler en m'en décrocher la mâchoire, le bel hawaïen n'avait pas l'air de remarquer mon ennui et je m'enfoncer toujours un peu plus dans un semi-sommeil.

Heureusement, je finis par remarquer l'arrivée, dans un coin du bar, d'un visage connu. Connu et pas forcément aimé, malheureusement, mais connu quand même : Roman Griffiths venait de rentrer dans le bar où je me trouvais déjà. Roman était, parmi mes connaissances sur cet archipel, l'un des plus sexy, cela allait sans dire. Mais son petit côté Don Juan qui pense qu'il peut se mettre n'importe qui dans son lit m'avait dès le début exaspéré. Il avait osé, dès notre première rencontre, demander de coucher avec lui. Comme ça, cash. Il avait du me prendre pour l'une de ses poules mais malheureusement, même si j'aimais bien les histoires d'un soir, il était impossible de m'avoir aussi facilement. Et puis, j'aimais dicter les règles alors je refusais de coucher avec lui, justement parce que cela lui aurait fait bien trop plaisir. Et depuis, le jeune homme prenait un malin plaisir à me charmer dès qu'il me croisait. Comme s'il pouvait espérer obtenir quelque chose ... Il se mettait le doigt dans l'oeil le pauvre, j'allais sans doute être la première à lui résister.

Je jetais un rapide coup d'oeil dans sa direction. Il était d'accompagné d'un ou deux amis d'après ce que je pouvais voir. Deux forces d'affrontaient en moi. D'un coté, j'espérais qu'il me voit. Ainsi, j'allais sans doute pouvoir me sortir de cette soirée morbide que j'étais en train de passer. Mais d'un autre coté, j'espérais passer inaperçue : je ne voulais surtout pas supporter ses avances pour la suite de la soirée. Heureusement, ou malheureusement pour moi, à vous de voir, Roman remarqua mon petit regard en coin et se leva de sa place pour venir vers moi, un petit sourire aux lèvres. Je lui souris aussi - je n'allais quand même pas tirer la gueule, une partie de moi était soulagée de le voir arriver.

« Roman Griffiths, vous ici. A la recherche d'une nouvelle proie je suppose ? »

J'eus un petit sourire goguenard avant de finir le verre de mojito qui se trouvait devant moi. Cul sec.

Une espèce de mini-révérence en guise de bonjour, ce qu'il pouvait m'énerver avec ses manières à la con. Tout cela pour me draguer ... Et puis c'était même pas comme ça qu'on saluait une demoiselle d'abord, j'en avais pris moi des cours et des cours pour apprendre à bien me tenir et me présenter en société. C'était plutôt des heures de tortures d'ailleurs en général. Si ma soeur Elisa s'y pliait avec beaucoup de bonne volonté, j'avais régulièrement le droit de me faire rappeler à l'ordre. Mais bon, au moins, maintenant je savais comme me tenir en société, pas comme cet énergumène qui me regardait bien trop outrageusement. Alors qu'il y avait des dizaines de personnes autour de nous, c'était vraiment déplacé. Il était sans doute ici pour se trouver une nouvelle petite minette locale, une fleur dans les cheveux et un collier autour du coup, à mettre dans son lit.

- Même pas, figure-toi. Mais maintenant que tu es là, ma soirée s’est soudainement illuminée.

Et que je te flatte, et que je te flatte ... N'en avait-il pas marre de me courir après, tout en sachant qu'il n'avait absolument aucune chance ? Ce qu'il pouvait être désespérant ... Je me demandais bien ce que toutes ces filles pouvaient lui trouver. Pour moi, il n'était qu'un horrible charmeur. Je pris le verre de mon voisin d'en face, bien trop occupé à parler pour s'en rendre compte, et le descendis aussi vite que le premier. Whisky-coca, beurk, cocktail bas de gamme. Je levais ensuite le regard vers Roman, totalement désintéressée.

- Heureuse pour toi.

Mon rendez-vous du soir finit par remarquer la présence d'un second homme auprès de notre table. Sa première réaction fut de bomber le torse - bande de machos. La seconde fut de me lancer son pseudo regard de braise censé nous faire toutes tomber comme des mouches. Pour le coup c'était complètement raté, j'avais surtout envie de me barrer en courant. Et Roman qui se trouvait toujours à quelques centimètres de notre table. Il n'y avait pas à dire, j'étais remarquablement bien entourée. Ironie, bien évidemment. Je voyais bien qu'Akamu faisait le coq pour essayer de faire fuire Roman. Mais c'était peine perdue, j'avais presque pitié de lui.

- Je t’offre quelque chose à boire ? Tu m’as l’air d’avoir une bonne descente. Mais fais attention, je ne voudrais pas que tu abuses de moi sous l’effet de l’alcool.

Sourire charmeur, chapitre II. Mon choix était compliqué : j'avais le choix entre un homme qui me voulait absolument dans son lit (quitte à en être insupportable) et un homme qui n'arriverait jamais à me mettre dans son lit, même avec toute la bonne volonté du monde. Quoiqu'il arrive, je finirais donc la soirée seule, donc au final mon choix importait peu. Mais au moins, Roman avait un peu de conversation et j'allais sans doute pouvoir m'amuser à lui résister, quitte à m'énerver. Je pris la main que le beau blond me tendait et me levais, attrapant mon sac à main au passage.

- Ne pense pas que je te fais une faveur. Je fais cela uniquement pour me sortir de ce traquenard, et pour le verre que tu as promis de m'offrir.

Je lâchais immédiatement sa main - j'étais pas là pour faire de la charité - en le suivis à la table où il s'était précédemment installé avec ses copains. Ayant déjà commencé à boire, ils ne firent pas vraiment attention à notre retour. Je m'assis en face de Roman et posais ma tête sur mes mains, le regardant droit dans les yeux. Un regard de défi ? Oh, à peine.

- Un Blue Hawaiian (rhum blanc, curaçao bleu, jus d'ananas, lait de coco), s'il te plait.

J'étais bien décidée à lui résister et à lui montrer que je n'étais pas n'importe qui. Mon nom français faisait sans doute un peu moins noble avec son reste de petit accent britannique, mais j'avais toujours été habituée à un certain statut, il devait le savoir. Et puis, je ne voulais pas lui laisser la tâche trop facile, j'aimais être une objet de défi. Je trouvais ça plutôt sexy d'ailleurs, d'être désirer à ce point, même quand c'était par quelqu'un comme Roman qui collectionnait les conquêtes.

- Je te paris que même si je finis la bouteille de rhum, tu n'obtiendrais même pas un baiser de moi.

Et j'étais prête à me l'enfiler cette bouteille s'il le fallait.

Je ne savais pas vraiment ce qui m'avait pris de suivre Roman jusqu'à sa table. Après tout, j'étais en train de me jeter dans la gueule du loup, même si j'avais entièrement confiance en mes qualités de résistance. Et puis surtout, en mes qualités de résistance à Roman Griffiths. Je voyais bien dans son regard qu'il ne lacherait pas l'affaire, mais je voulais lui faire comprendre que j'étais toute aussi têtue que lui. C'était pour cette raison que je le provoquais en duel. Non, pas un duel de gladiateurs, je ne voulais tout de même pas abîmé sa gueule d'ange. Plutôt un duel d'alcool, j'étais d'humeur chafouine, prête à jouer. Roman appela le serveur d'un signe de la main et un petit sourire aux lèvres.

- Un Blue Hawaiian, un Mojito et une bouteille de rhum s’il te plait.

Le beau blond retourna ensuite la tête vers moi, avec un regard ... Ce regard vert de défi qui aurait fait craqué n'importe qui, mais pas moi. J'étais prête pour la bataille. Je finirais à ramasser à la petite cuillère s'il le fallait pour finir cette bouteille de rhum. Je croisais les bras sur la table, le regardant toujours dans les yeux. Je ne lachais pas son regard, cela été comme une première défaite déjà. Les copaines de Roman étaient toujours plongés dans leur conversation et ne remarquaient même pas notre petit jeu.

- Et si on jouait un peu ? Si t’arrives à passer les tests d’équilibre après t’être sifflé toute la bouteille, je te laisse tranquille pendant disons… Deux semaines. Si non, tu me dois un baiser.

J'allais répondre que ce n'était pas juste du tout parce que son gain était beaucoup mieux que le mien quand le serveur revint à notre table avec les deux verres et la bouteille. J'en profitais pour m'allumer une cigarette, avant que Roman ne se retourner vers moi pour me tendre la bouteille. Comme si j'allais la refuser, je n'étais pas une petite joueuse, quoi qu'il puisse penser.

- Je ne pensais pas que les filles de bonne famille étaient aussi rebelles. Tu me surprends un peu plus chaque jour, Mademoiselle de Contades.

Je ris avant de prendre une taffe de ma cigarette. Je fumais beaucoup trop, je le savais, mais j'en avais besoin. Je n'aimais pas vraiment la clope en elle-même, mais j'avais besoin de ce geste pour m'occuper les mains et pour me détendre. Comme un tic, une habitude. J'avais commencé à fumé à l'âge de dix-sept ans, sans jamais me cacher de mes parents. Après tout, eux aussi fumaient, comme quasiment tout leur cercle d'amis.

- Je veux et j'exige un meilleur gain en cas de victoire. Deux semaines sans entendre parler de toi, ce n'est qu'une broutille. Non, je veux un vrai trophée, quelque chose dont je puis me vanter auprès de mes copines. Quelque chose qu'on ne voit pas dans les bonnes familles.

Je pus remarquer son petit regard intrigué, ce qui me réjouis puisque c'était l'effet recherché. Je n'avais à l'origine pas vraiment d'idée mais celle-là m'était venue comme ça d'un coup. Je pris une grande gorgée de mon cocktail avant de reprendre la parole :

- Je veux un strip-tease de Roman Griffith pour moi et moi seul dans les toilettes de ce bar. Mais ne parade pas, je fais cela uniquement pour voir ce que les autres te trouvent et pour pouvoir me vanter auprès des autres.

Je le voyais d'or et déjà aller raconter à tout le monde qu'il avait passé un moment torride avec moi dans les toilettes d'un bar. Il pouvait toujours se foutre le doigt dans l'oeil, je n'allais surement pas le toucher d'un millimètre. Je ne prends pas la peine d'utiliser le conditionnel puisque j'étais à cet instant persuadé de l'emporter. Je levais la fin de mon premier verre bien haut, un sourire charmeur et le regard déterminé.

- A la tienne. Je trinque à ma victoire ... Et à notre soirée !

Je finis ce premier Blue Hawaiian cul sec, relevant ensuite le visage vers Roman. Le rhum me brulait la gorge, je n'allais sans doute pas tout faire à cette vitesse si je voulais gagner. J'approchais mon visage du sien au dessus de la table. D'où j'étais, je pouvais encore mieux voir ses yeux verts qui faisaient craquer tant de filles. Beurk.